CARNET DE L’AMATEUR
2 May 2024
L'ensemble remarquable de Mesdames à Bellevue
N’ayant pas survécu aux affres de la Révolution française, le château de Bellevue ne fut cependant rien de moins que la résidence favorite des filles de Louis XV, Mesdames Adélaïde, Victoire et Sophie, après avoir été celle de Madame de Pompadour. Mesdames y laissèrent libre court à leur goût artistique et y engagèrent de nombreux travaux de décoration. Si les décors sont à jamais perdus, il reste dans les collections françaises quelques meubles qui laissent deviner la splendeur passée de cette demeure royale. Le Louvre conserve notamment un exceptionnel ensemble de meubles en laque du japon, livrés par le marchand Darnaud à Mesdames, tantes de Louis XVI, en leur château de Bellevue. Le premier ensemble est livré en 1681 à Madame Adélaïde. Le mémoire de Darnaud comprend une commode à gradins, deux encoignures y répondant, un bureau et une petite table. Si le bureau a été dépouillé de ses panneaux au XIXe siècle, les encoignures, toujours intactes et présentées aujourd’hui à Versailles, nous laissent nous figurer le goût sûr des princesses. Le laque est un matériau qui ne cesse d’être prisé tout au long du XVIIIe, mais ici, les meubles frappent l’œil par la sobre élégance des lignes droites tout à fait néoclassiques. Si le style Louis XVI est déjà pleinement épanoui à cette époque et donne place à des productions exceptionnelles, ces meubles n’en restent pas moins remarquables par leur excellente qualité d’exécution et par l’ensemble conséquent qu’ils représentent. Madame Victoire, sœur de madame Adélaïde dont elle admire probablement le bel ensemble de meubles en laque japonais, passe à son tour commande, auprès de Darnaud, de plusieurs pièces de mobiliers, dépassant aux yeux de certains la qualité de la précédente commande. De façon ironique, l’ébéniste Carlin, auteur des deux ensembles, meurt un mois avant la livraison des meubles de Madame Victoire au château de Bellevue (1785). Les inventaires après décès montrent que si la commode de Madame Victoire provenait bien de ses ateliers, les encoignures, en revanche, n’y étaient pas, laissant supposer que Gaspard Schneider, successeur de Carlin, ait sous-traité cette partie de la commande. Leurs estampilles toutes deux apposées sur le bureau également commandé par Madame Victoire vient renforcer cette hypothèse. On remarque que le goût a déjà évolué et que le style à l’étrusque est nettement plus marqué sur cette deuxième commande, présentant une ornementation de bronzes plus fouillée et plus présente. Les historiens ont réussi à retrouver les provenances des différents panneaux de laques utilisés pour cette deuxième commande. On se souvient des coûts importants que représentaient les laques, matériau riche que seuls fournissaient les marchands-merciers aux ébénistes. Pour la deuxième commande de Bellevue, le marchand Darnaud fournit à Carlin des panneaux qu’il a achetés lors de la vente du duc d’Aumont et lors de la vente de Randon de Boisset. Thibaut Wolvesperges insiste sur la rareté que représente le fait de retrouver plusieurs provenances pour les laques d’un même ensemble mobilier. Cette double production de l’ébéniste Carlin pour le château de Bellevue reste un excellent exemple de ce que le style Louis XVI a laissé de plus sûr en matière de goût et d’esthétisme, un goût qui n’a pas fini de plaire.