CARNET DE L’AMATEUR


29 April 2024

L'ensemble remarquable de Lalive de Jully

L'ensemble remarquable de Lalive de Alors que le Rocaille bat encore son plein à la cour de Louis XV, certains érudits s’en détournent pour lui préférer un style assagi et nettement plus intellectuel, inspiré des frontons antiques des temples romains. Le graveur Nicolas Cochin par exemple, sur le retour de son voyage sur les sites d’Herculanum et Pompéi, en 1754, fustige les orfèvres et bronziers de ne savoir apprécier la sobre élégance du classicisme. Un reproche qu’il ne peut pas faire à La Live de Jully, un homme du monde amateur d’art, de musique et de sciences. En 1757, il passe commande auprès d’un certain Joseph Baumhauer (reçu maître en 1772) d’une suite de meubles de goût antique, en franche rupture avec tout ce qui se pratiquait jusqu’alors. La Live de Jully souhaite constituer un cabinet flamand où exposer sa collection de peintres du Nord. Il confie le dessin des meubles envisagés au peintre Louis Joseph le Lorrain, avant que Baumhauer ne l’exécute. Avec le bureau plat et son cartonnier aujourd’hui exposés au musée de Chantilly, La Live de Jully commande aussi quatre coquilliers, une pendule et un écritoire, un ensemble conséquent qui devait renforcer la majesté de leurs lignes néoclassiques. Cet ensemble est alors tout à fait novateur et La Live de Jully est bien conscient de cela, écrivant dans le catalogue de ses œuvres paru en 1764 que « c’est depuis l’exécution de ce Cabinet que s’est répandu ce goût d’ouvrage à la grecque que l’on emploie maintenant ridiculement à tout ».

Pourtant, cet ensemble tombe dans l’oubli, lorsque pour subvenir aux besoins de sa famille, Madame de La Live de Jully, dont le mari a entretemps sombré dans la folie, vend le cabinet de ce dernier, méconnu par l’histoire de l’Art jusqu’en 1961, date à laquelle le bureau plat des collections du musée Condé et celui de La Live de Jully sont identifiés comme ne faisant qu’un, grâce au travail de l’historien Svend Eriksen.

Que s’est-il donc passé durant toutes ces années ? Vendus en 1770 par Madame de La Live de Jully au duc de Chaulnes, le bureau plat et son cartonnier sont retrouvés outre-manche où une restauration est attestée par une date inscrite dessus, 1847, accompagnant une inscription en anglais malheureusement illisible. Le meuble est entré à ce moment dans les collections du duc Alexander Hamilton, grand collectionneur dont certains meubles se retrouvent aujourd’hui à la Frick Collection ou au Metropolitan Museum. Ses biens sont justement dispersés par son petit-fils, William, douzième duc de Hamilton, lors d’une vente prestigieuse qui fait beaucoup parler d’elle dans le monde de l’art. L’origine du meuble est inconnue de la maison de vente qui présente simplement le bureau comme d’époque Louis XIV. L’influence des meubles Boulle est bien perçue, et le duc d’Aumale, qui cherche un meuble martial pour sa galerie des batailles à Chantilly, jette donc son dévolu sur ce meuble, se fourvoyant sur la datation du meuble qu’il croit contemporain au grand Condé. Une erreur heureuse qui a permis de rapatrier en France un ensemble spectaculaire faisant date dans l’histoire du mobilier français.

Sur le plan décoratif, le bureau, aux lignes viriles et massives, se dresse contre les sinuosités du Rocaille encore répandue en France lors de la conception du bureau. Celui-ci attire l’œil par la force de la couleur de son ébène qui assure une présence remarquable au meuble. Les puissants bronzes, exécutés par Caffieri, en soulignent la vigueur, et donnent au meuble cet air général qui lui valut d’être expertisé meuble Boulle lors de la vente Hamilton. Ce meuble, qui fut une véritable révolution en son temps, est le manifeste du goût classique en mobilier français XVIIIe siècle dont il illustre la richesse.

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