CARNET DE L’AMATEUR


9 August 2023

Le périple de la commode de Gaudreaus pour la chambre du roi

Qui n’a pas fait attention à la remarquable commode de Gaudreaus, valorisée lors de l’exposition Louis XV, Passions d’un roi ? Livrée en 1739 pour la chambre du roi à Versailles, la commode de Gaudreaus marque les esprits par la richesse de ses bronzes, si fournis qu’ils en masquent le frisage du meuble. Pourtant, sa présence sur le territoire français a paradoxalement relevé de l’exceptionnel.

Au décès de Louis XV en 1774, la commode échoit en effet au duc d’Aumont, premier gentilhomme à la chambre du roi, qui, selon les droits rattachés à sa charge, hérite du mobilier de la chambre royale. Les archives relatent ainsi que le duc d’Aumont emporte « « les meubles qui étaient dans la chambre, dans le cabinet du Conseil et celui de la Pendule du feu roi » (Arch. nat., O1 199, fol. 109). Mais en 1774, le néoclassicisme prévaut, bien éloigné du goût rocaille par tout ce qu’il a de rectiligne. Le duc d’Aumont, qui marque une dilection pour le néoclassicisme, envoie donc la commode de Gaudreaus dans sa propriété de province, au château de Guiscard. Là-bas, ce n’est ni dans sa chambre, ni dans les salons, que l’on retrouve la commode à la mort du duc, mais dans une chambre à côté de la chapelle. Dédaignée, la commode disparaît des archives. La vente des collections du duc, en 1782, puis la vente du château de Guiscard par sa petite-fille la duchesse de Mazarin, en 1823, ne mentionnent pas cette commode pourtant extraordinaire.

Lorsqu’on la retrouve enfin, en 1865, elle est passée de l’autre côté de la Manche, chez le 4e marquis de Hertford. Néanmoins, les archives de la maison des marchands français Beurdeley ont conservé une photographie sur laquelle apparaît la commode de Gaudreaus, quelques bronzes en moins. Cela laisse à penser que le marchand Louis-Auguste Beurdeley peut être à l’origine de cette transaction, car nous savons en effet que les Beurdeley comptaient parmi leurs clients le marquis de Hertford. Son éloignement de Versailles, qui aurait dû la protéger de l’exil qui a frappé bon nombre des meubles royaux, n’empêche ainsi pas la commode de Gaudreaus de voyager hors de France. Elle fait désormais partie des collections anglaises publiques, par le leg effectué en 1894 par la veuve du 5e marquis de Hertford, Charlotte Wallace, décédée en 1897. Son testament précise que si sa collection va à l’Etat britannique, celui-ci s’engage en contrepartie à ne jamais rien modifier, par ajout ou par vente. Faire quitter la commode de son musée a été rendue possible en 2019, par un assouplissement des conditions de prêt.

D’un rocaille flamboyant, le commode a ainsi pu, le temps d’une exposition, « rentrer à la maison », pour le plus grand bonheur des érudits et des passionnés. Des passionnés comme vous, comme nous.

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