CARNET DE L’AMATEUR


29 July 2023

Le périple du rouet de Marie-Antoinette

Une congrégation qui fait un don au château de Versailles, il n’en faut pas beaucoup plus pour intriguer. Comment un ordre religieux, qui mène par vocation une vie de renoncement, peut-il offrir un objet au château incarnant les fastes de l’ancien Régime ? C’est pourtant bien ce qui s’est passé en 1978, lorsque la congrégation du Sacré-Cœur de Lyon offre au château de Versailles un petit rouet de dame, qui aurait appartenu à Marie-Antoinette.

La provenance du rouet a pu être entièrement retracée, par voie de tradition. Il faut remonter en 1792, lorsque Marie-Antoinette, incarcérée au temple, se sépare de son personnel. Mademoiselle Lemeneux, sa femme de Chambre, repart avec un petit rouet qu’elle conserve avec elle. Devenue supérieure de la congrégation du Bon Pasteur, Mademoiselle Lemeneux confie le rouet à une bienfaitrice de l’ordre, Madame de Barmondière. Cette demoiselle de la haute bourgeoisie lyonnaise, connue dans la région pour son extrême générosité, fait tout naturellement don de ce rouet historique au couvent qui le conserve. Après la loi séparatiste de décembre 1905 qui bannit tout ordre religieux de France, la congrégation trouve refuge à Ixelles, en Belgique, où elle emporte avec elle le rouet. En 1978, l’ordre revenu en France offre à son tour le rouet de table au château de Versailles.

Ce rouet est aujourd’hui conservé dans le corps central du château de Versailles, dans l’appartement intérieur de Marie-Antoinette.

Tout comme celui que nous exposons en ce moment à la Galerie Pellat de Villedon, ce rouet est le témoin de son temps. A la fois utile et esthétique, il s’invite dans les grandes demeures pendant le XVIIIe siècle. Il trouve même sa place dans les salons, puisqu’il permet aux femmes de s’occuper tout en tenant la conversation. Cette activité de femme d’intérieur était associée à l’image de la femme vertueuse : Madame de Pompadour n’hésite pas, pour son dernier grand portrait officiel, à se faire représenter à son métier à tisser (Drouais, Madame de Pompadour, 1763-64, National Gallery, Londres), comme pour se défaire de l’image sulfureuse qu’on lui avait imputée.

Le rouet, pratique car mobile, a donc eu une place de choix dans les intérieurs féminins de la deuxième moitié du siècle. On peut par exemple s’en référer au portrait conservé au musée Carnavalet peint par Jacques Aved et, où l’on voit Françoise Marie Pouget (supposée), dans un intérieur bourgeois, filer la laine sur son petit rouet. Certains rouets, comme celui de Marie-Antoinette ou celui de la Galerie Pellat de Villedon, sont subtilement décorés, passant ainsi d’objets utilitaires à pièces d’apparat.

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