CARNET DE L’AMATEUR


17 March 2023

Le Grand Condé, l’ombre du Soleil.

L’histoire oublie trop souvent que Louis II de Bourbon-Condé, à son retour en grâce, a mis de son énergie, dans un premier temps absorbé par ses velléités frondeuses, au service des Arts et des Lettres.

Personnalité géniale, grand stratège, esprit brillant, rien ne manquait à Louis de Bourbon-Condé, né en 1621 dans l’hôtel familial à Paris. Simone Bertière s’est attachée à dresser un portrait tout en nuance de cet homme, qui est l’acteur majeur des plus grandes victoires françaises au milieu du XVIIe siècle (dont la bataille de Rocroi en 1643) et à la fois acteur de l’une des révoltes qui secoua le plus profondément ses institutions.

Avançant en âge, le prince s’était progressivement retiré de la vie publique, alors centrée sur celle de la cour à Versailles, pour se consacrer à ses terres propres. Louis de Bourbon-Condé avait hérité par sa mère du château de Chantilly. Il révéla alors la mesure de son génie en matière d’aménagement tant intérieur qu’extérieur des espaces. Il fit aménager ses jardins à Chantilly par André le Nôtre, pour ainsi y organiser des fêtes dignes du rang qu’il occupait. L’ironique mort de son « contrôleur général de la bouche », François Vattel, eut lieu au cours d’une de ces fastueuses réceptions, alors que le prince de Condé recevait Louis XIV.

A une époque où l’ébénisterie commençait de se développer, et où l’artisan était individuellement valorisé, Louis de Bourbon-Condé commandait déjà des meubles d’un grand luxe. C’est ainsi que l’on retrouve dans les archives de l’ébéniste André-Charles Boulle la commande d’un caisson de régulateur de parquet destiné à la chambre du prince pour son hôtel particulier à Paris. On ne conserve malheureusement pas d’inventaire après décès des biens de Louis II de Bourbon-Condé, mais celui de son arrière-petit-fils, décédé en 1740, laisse présager une belle possession patrimoniale, et une sensibilité aux arts héritée de son ancêtre.
Plus que tout, l’intelligence de Condé sera de reprendre les armes de Louis XIV pour servir sa propre gloire. A l’instar de son ombrageux et royal cousin, Louis de Condé comprenait l’intérêt politique de l’art qu’il n’hésitait pas à mettre au service de sa Maison. Il commanda notamment aux peintres Sauveur le Conte et Michel de Corneille, les tableaux de la Galerie des batailles au château de Chantilly. Ce lieu incontournable figure le point culminant de sa politique de louange toute à la gloire de son lignage. Outre cette dimension propagandiste, on ne peut qu’admirer l’œil d’esthète qui l’avait poussé à passer commande auprès de Sauveur le Conte, qui peignait aussi des scènes de batailles pour le roi au château de Versailles. On sait également que Louis de Condé affectionnait tout spécialement les écoles du Nord de l’Europe. Il fit entre autres l’acquisition d’une toile du peintre flamand Anthonis Mor, représentant Jésus-Christ ressuscité entouré de saint Pierre, saint Paul et deux anges, encore aujourd’hui au musée Condé, à Chantilly. 
Le prince de Condé institua une véritable cour à Chantilly, qui resta un point névralgique de la culture et des arts tout au long du XVIIIe siècle, ses descendants n’ayant de cesse de développer la propriété. Louis II de Bourbon-Condé y invitait des hommes de lettre illustres, qui contribuèrent à faire de Chantilly un haut lieu de liberté intellectuelle. Le prince accueillit par exemple Molière et sa troupe de comédiens pour des représentations du Tartuffe, alors que cette pièce était décriée à la cour. C’est encore à Chantilly que la Bruyère put peindre nombre de ses savoureux portraits. L’intérêt et le soutien du grand Condé pour les lettres fit de lui un grand lecteur, et il laissa à sa mort une bibliothèque comprenant pas moins de 10 000 volumes, sans doute sa plus belle collection.
La figure du Grand Condé reste à tort attachée à celle d’un militaire rebelle et orgueilleux. S’il est indéniable que le rôle joué par Louis II de Bourbon-Condé lors de la fronde fait de lui un personnage majeur de l’opposition sous la régence d’Anne d’Autriche, l’œuvre qu’il a laissé à la postérité, particulièrement à Chantilly, donne aussi à voir un homme cultivé, aimant à s’entourer des plus grands artisans et intellectuels de son temps. Ses funérailles en mars 1687 (il était décédé en décembre 1686 à Fontainebleau), furent, selon Madame de Sévigné, « la plus magnifique et la plus triomphante pompe funèbre qui n’ait jamais été faite depuis qu’il y a des mortels ». Les gravures que l’on conserve donnent à notre œil contemporain un aperçu impressionnant de ce que furent les funérailles de cet homme, né pour diriger, mais dont l’entièreté entacha le souvenir de paradoxes que la postérité a trop facilement oublié.

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