CARNET DE L’AMATEUR


18 December 2021

Marianne Mancini, duchesse de Bouillon

Née à Rome en 1649 et morte en 1714 à Paris, Marianne Mancini est, par sa mère, la nièce du cardinal Jules Mazarin (1602-1661). Issue d’une fratrie de huit dont elle est la plus jeune, elle n’arrive en France qu’après le reste de sa famille, en 1655.


Marianne Mancini et le duc de Bouillon
À la mort de Mazarin, la plus jeune de ses nièces n’est pas encore mariée. Il lui laisse 200.000 écus de dot, et promet le gouvernement d’Auvergne à son futur époux. Le cardinal ambitionnait de marier une de ses nièces à l’un des fils de la maison de Bouillon. La reine mère Anne d’Autriche organise alors pour Marianne Mancini cette alliance qui permettait de faire rentrer les Bouillon, champions de la Fronde, dans la clientèle mazarine. La Gazette de France annonce le 19 avril 1662 la signature du contrat de mariage unissant la dernière Mazarin à Godefroy Maurice de La Tour d’Auvergne (1641-1721) futur duc de Bouillon. Les fiançailles sont célébrées par l’évêque de Mirepoix le jour même, et le lendemain, alors qu’elle est âgée de seulement treize ans, Marianne Mancini épouse le duc de Bouillon, lui-même âgé de vingt et un ans. La charge de Grand Chambellan qu’il occupe depuis 1658 le retient à Versailles, tandis que la nouvelle duchesse de Bouillon préfère Paris où elle s’est tissé un excellent réseau mondain.  D’un accord tacite, ils entretiennent une relation à distance, l’un visitant l’autre ponctuellement. Dix enfants naissent de cette union.

Les amours infidèles de Marianne
Nous lui connaissons deux infidélités, notamment avec Antoine-Charles de Gramont, dit le comte de Louvigny (1641-1720).
Mais elle a surtout une relation très ambigüe avec le Chevalier de Vendôme (1655-1727) plus connu sous le nom de Grand Prieur, fils de Laure Mancini, la sœur de la duchesse, donc neveu de Marianne. Laure Mancini est morte en suite de couches en 1657, et son mari meurt en 1769. Orphelin, le jeune chevalier de Vendôme est recueilli par sa tante à l’hôtel de Chimay, quai Malaquai. Cette cohabitation aurait fait naître des sentiments amoureux entre les deux jeunes gens que seules six années séparent. Les bruits ont couru disant que le chevalier de Vendôme était le père de Frédéric-Jules (1672-1753) Chevalier de Bouillon, l’un des dix enfants Bouillon.

En 1675, Marianne se retire au couvent de Montreuil. Les sources divergent quant à la motivation exacte de ce retrait. Primi Visconti explique que la duchesse se retire d’elle-même, craignant les représailles de sa belle-famille au sujet de ses mœurs. D’autres, comme Maurepas, croient au contraire que la duchesse est faite enfermer au couvent sur ordre de son mari.

Une femme de lettres et mécène parisienne
La duchesse de Bouillon n’a que quinze ans lorsqu’elle fait de son hôtel parisien un salon littéraire et mondain, animé par les esprits les plus illustres du règne de Louis XIV. On rencontre chez elle Molière et la Fontaine. Elle devient d’ailleurs la protectrice du fabuliste, dont elle fait la connaissance à Château-Thierry, alors que la Fontaine en est le maître des eaux. La duchesse l’encourage à se lancer dans une importante carrière, en l’introduisant dans son hôtel parisien où elle préside sa petite académie. Grâce à elle, l’homme de lettres est anobli comme gentilhomme. Afin de remercier sa bienfaitrice, il lui dédie son ouvrage Psyché (1669)  par ces mots: « À Madame la duchesse de Bouillon. / Madame, c’est avec quelque sorte de confiance que je vous dédie cet ouvrage ».


Elle prend également sous son aile le dramaturge Jacques Pradon (1632-1698), concurrent direct de Jean Racine. Cette rivalité atteint son paroxysme lorsque les deux écrivains choisissent de réécrire la tragédie de Phèdre au même moment.  Une clé de lecture suggère que Marianne Mancini ait vu chez Racine, dans l’amour incestueux de Phèdre pour Hyppolite, une condamnation de ses relations propre avec le grand Prieur, tandis qu’à contrario, Pradon situe l’amour de Phèdre pour Hippolyte avant que la première ne se marie avec Thésée, afin de respecter la bienséance du temps. Un échange de pamphlets en vers et une critique acerbe à l’encontre de Racine accompagnent cette « cabale de Phèdre ». Pour aider Pradon, dont la pièce est créée deux jours après celle de Racine, la duchesse de Bouillon dépense d’importantes sommes pour louer des places dans les théâtres où sont produits les deux événements. Dans celui de Racine, elle paye des gens pour y venir siffler et dormir tandis que dans celui de Pradon, elle fait venir son réseau pour y applaudir son protégé. Afin de la remercier, Pradon lui dédiera une épître.


La duchesse de Bouillon et l’Affaire des Poisons
En mars 1679, explose l’un des plus grands scandales du règne de Louis XIV, l’Affaire des poisons. La célèbre empoisonneuse La Voisin (v.1640-1680) est accusée d’être à l’origine de plusieurs empoisonnements survenus depuis quelques temps dans les hautes sphères, et est arrêtée. Quatre cents quarante-deux personnes sont inculpées dans cette affaire, dont la duchesse de Bouillon. Un tribunal spécial est créé qui portera le nom de la Chambre Ardente. Soupçonnée d’avoir voulu empoisonner son mari Godefroy Maurice de La Tour d’Auvergne, afin d’épouser le chevalier de Vendôme, Marianne Mancini est convoquée en justice. Elle s’y rend le 29 janvier 1680, en compagnie de son époux qui était d’ailleurs convaincu de l’innocence de sa femme, rendant publiques les minutes du procès pour la disculper aux yeux de l’Europe. Très à l’aise, Madame de Bouillon a l’audace, à la fin de son jugement, de s’exclamer devant le tribunal : « Vraiment, je n’eusse jamais cru que des hommes sages pussent demander tant de sottises ». Acclamée par sa famille et ses amis, son implication dans l’affaire déplaît toutefois à Louis XIV qui ordonne l’exil de Marianne le 16 février 1680 à Nérac. À son retour à Paris, elle reprend ses activités mondaines sans rien y changer. Elle continue à fréquenter assidument le prince d’Orléans, frère du roi, dont le décès en 1708 l’attriste beaucoup. Elle meurt en 1714 à l’âge de 68 ans.


Bibliographie :

Deruelle Roger, Grandeur et décadence de la Maison de Bouillon, 1974
Petit Léon, Marie-Anne Mancini duchesse de Bouillon, ed. Cerf-Volant, 1970
Renée Amédée, Les nièces de Mazarin études de mœurs et de caractères au XVIIIe siècle, Paris, 1857
 
 

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